William Faulkner disait « In writing, kill all your darlings ». Grossièrement, on pourrait traduire cet adage par « Quand vous écrivez, tuez tous vos chéris ». Alors non, Monsieur Faulkner ne recommandz pas de buter de manière fictionnelle vos amoureux IRL afin de vous sentir mieux. Non, il vous propose de vous pencher sur less darlings, les « pièges à ego » de l’écrivain. Des pièges qu’il se tend à lui-même. Une forme d'auto-sabotage que quiconque sachant écrire pratique activement...! Mais dis donc William, qu’est-ce que les darlings ?Mon propos va rester volontairement très vague, parce que les darlings ne sont pas les mêmes pour tout le monde, il n’en existe aucun qui est absolu. À vrai dire, les darlings d’un auteur peuvent même être un sérieux atout chez un autre. De manière très générale, il s’agit de personnages/scènes/formulations/expressions/tics qu’un auteur ne peut consentir à supprimer. Et ce, quand bien même il peut avoir conscience qu’ils n’enrichissent pas l’histoire, qu’ils créent une rupture, un effet de « trop », une lourdeur, une incompréhension, un contresens, une incohérence, une envolée lyrique sans grande portée pour le récit. Bref qu'ils desservent le fond ou la forme de son histoire, d'une manière ou d'une autre ! Les darlings peuvent aussi être un excès de bien-dire, de bien-faire, ou une tentative de pirouette « poétique »... que l'auteur ne veut plus supprimer ! En bref, les darlings, ce sont ces choses que vous sentez de trop, mais que vous chérissez de tout votre cœur. Un peu comme ce carreau de chocolat ou ce bonbon de trop qu’on n’aurait jamais dû manger… Ils jaillissent de nulle part et desservent totalement le propos. Je pense notamment à quelques romans pour ados qui ont une narration très fluide, jusqu'au moment où l'auteur verse dans une forme de poésie en prose « qui ferait bien en citation sur une photo de profil ». Et je ne juge pas, je commets l'erreur régulièrement ! On peut également citer l'usage abusif de « marmoréen » et de « nonobstant » dans Twilight (du moins dans la traduction français, j'ignore comment se présente la version originale). Ce sont des mots qu'un lecteur lambda connaît peu ou pas, ils sont donc voyants, sortent de la lecture, et si en plus ils apparaissent à plusieurs reprises... Ce sont des tics très facilement repérables ! Même si on adore un mot, on est pas obligé de le caser à toutes les sauces ! Le caser une fois, correctement, c'est déjà bien ! Comment les repérer ?On commence à repérer ces petites créatures chéries avec le temps, du recul et un regard extérieur. En effet, une certaine lucidité sur notre propre style s’installe au bout de quelques années d’écriture et nous permet d’aborder nos textes sous un angle différent. Au début, on écrit sans vraiment faire attention à nos petites maladresses, nos tics. Mais à force de relecture, de réécriture, notre cerveau finit par enregistrer ceux qui sont récurrents. Résultat, plus vous écrivez, plus votre cerveau va apprendre à éviter ces écueils en cours d'écriture, avant toute relecture. La relecture, étape plus que nécessaire (qui devient bien souvent plusieurs étapes à elle toute seule...) à l'élaboration d'un texte, ne suffit parfois pas à tout dénicher. Certains logiciels peuvent vous aider à identifier facilement les répétitions et tics d’écriture. Je pense notamment à Antidote et Repetition Detector, qui sont très efficaces. Cependant, rien n’égalera la finesse de l’œil humain. Trouvez un relecteur et demandez-lui de souligner chaque passage qui l’aura sorti de sa lecture (pas d’une bonne manière, évidemment, je ne vous parle pas des ruptures volontaires qui sont des effets de style bienvenus, si tant est qu'ils sont utilisés avec parcimonie), chaque expression tape-à-l’œil ou trop utilisée qu’il aura repérée. Comment s'en débarrasser ?En appuyant sur la touche effacer de votre clavier, par exemple ? Je plaisante… On dit parfois que la littérature, c’est aussi l’art de la coupe. Qu’elle soit claire ou sombre. Paradoxalement, écrire, c’est souvent retrancher. Ce que vous pouvez dire de manière plus percutante, plus courte… raccourcissez-le. Sauf, bien sûr, si vous cherchez un effet de rythme ou de style particulier, qui exige des phrases complexes. La mode est à la concision, mais rien ne vous empêche de préférer les phrases plus longues. Certains auteurs excellent dans ce domaine ! La difficulté, concernant les darlings, c’est de parvenir à trier le bon grain de l’ivraie. Il ne s’agit pas de tout supprimer, mais de repérer et de fusiller ce qui dépasse et n’apporte rien, ou pire, ce qui n'apporte rien de plus qu'une lourdeur ou une incohérence. Attention à ne pas non plus commettre un génocide, évidemment. Je sais qu’il est parfois compliqué de charcuter son texte façon Freddy Krueger, parce qu’on a l’impression de faire une boulette. On est souvent hanté par le sentiment qu’on coupe quelque chose d’essentiel, alors que, dans la majorité des cas, c’est faux. Si vous avez envisagé de couper un morceau, c’est sans doute pour une bonne raison. Interrogez-vous sur cette raison, et vous verrez ! Dans le doute, et pour apaiser votre petit cœur, prévoyez un doc où vous larguerez tous vos darlings. Une sorte de cimetière de darlings, en fait. Je peux vous assurer que, déjà, vous n’y remettrez pas souvent les pieds. Ils ne vous manqueront pas tant que ça, et en plus, quand vous les relirez ainsi, totalement isolés, ils vous apparaîtront dans toute leur inutilité. Mais qui sait, peut-être que vous leur trouverez une seconde vie dans un texte plus approprié ! Alors, « kill your darlings », avec amour, bien sûr. Et profitez bien de la tuerie !
|
Jade RiverJeune auteure de 23 ans, passionnée d'écriture et étudiante en Lettres modernes.
Archives
Janvier 2019
Catégories
Tous
Articles qui pourraient vous plaire : |