Quand on écrit, on a tendance à ne pas faire attention aux sonorités. Du moins, c'est mon cas jusqu'à ce que je fasse l'horrible effort de me lire à voix haute. Et lors de l'étape de relecture et correction, j'ai longtemps fait passer un aspect du son à la trappe. Pas vraiment par fainéantise, mais davantage parce que je n'en avais pas encore découvert l'utilité. Et pourtant... Quelle erreur ! Si je dis "allitérations et assonances", vous fuyez tout de suite ?Maintenant que Ryan Gosling a fait son oeuvre... Voici deux définitions très simples : ❧ Allitération : figure de style qui consiste en la répétition rapprochée d'un son consonantique (consonne) dans un groupe de mots. ❧ Assonance : figure de style qui consiste en la répétition rapprochée d'un son vocalique (voyelle) dans un groupe de mots. A quoi servent-elles ? ❧ À créer une harmonie imitative. Exemple : le serpent siffle donc pour évoquer ce sifflement, on va multiplier l'usage du son [s] comme le célèbre "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?" de Racine. ❧ À tisser des échos, des réseaux entre des mots qui n'ont parfois pas de rapport de prime abord. ❧ À suggérer, par le son, une idée, qu'elle soit concrète ou très abstraite. Pour info : on peut, mais c'est pas une science exacte, estimer qu'il y a répétition à partir de deux/trois répétitions proches du même son. Voilà, le plus dur est fait. De l'utilité de se pencher sur les figures de style sans pleurerJe sais... Je sais que certains n'ont pas fait d'études littéraires, ou en font, mais font un rejet des figures de style. Cependant, leur efficacité, si bien utilisées, n'est plus à prouver. Elles soutiennent le propos par la forme, le renforcent, l'accentuent et l'imagent. Quand on écrit, on produit tous des figures de style. Parfois bonnes, parfois mauvaises. Parfois un peu des deux. Elles nous forcent à choisir avec précaution les mots que nous employons. Pour ma part, en écrivant le premier jet, je ne réfléchis pas franchement à la beauté des figures de style ! Non. Ce travail vient après. On affine les figures utilisées, on les repère pour, pourquoi pas, en faire des rappels plus loin dans le manuscrit. Elles peuvent être un fil directeur. Il faut les chérir, je crois. Et les allitérations et assonances dans tout ça ?Il y a sûrement des auteurs de génie qui n'ont jamais le moindre doute sur la manière de faire passer des émotions, des idées, des ambiances, des sons, des images dans un texte. Je ne suis pas de ceux-là. Je suis galérienne en matière de descriptions, peu importe qu'elles soient d'ordre physiques, émotionnelles, contextuelles ou autres. Et c'est là, quand je sèche devant ma page word, désespérée de faire passer au mieux mon idée, que je m'en remets parfois à ma botte secrète : les allitérations et les assonances. Certes, ça ne marche pas à tous les coups, mais en général, ça vaut la peine de tenter. Mais dis-nous, quel est le secret de leur utilisation ?Mettons par exemple, que mon personnage principal est en colère. J'ai déjà utilisé beaucoup d'images, de postures, de mots de colère. Mais ai-je utilisé les sons de la colère ? Alors, quand je me retrouve bloquée ainsi, je fais un brainstorming avec moi-même. Que m'évoque la colère au niveau sonorité ? Des sons durs, des sons sifflants, des mots courts, qui fusent. Cette vision est très personnelle bien sûr, et rien ne vous empêche de penser tout le contraire. Quoi qu'il en soit, il me reste alors à adapter mon vocabulaire de manière naturelle pour obtenir ces sons et "faire entendre" la colère dans les mots employés. Pour info : lorsqu'on étudie la phonétique, on apprend que les consonnes sont divisées par catégories selon la zone essentielle à la parole qu'elles nécessitent pour être prononcées. ❧ Les palatales (formation du son à l’intérieur de la bouche, vers le milieu du palais, sur le palais dit "dur") : J, G, N. ❧ Les vélaires (formation du son sur le palais dit "mou") : K et G. ❧ Les uvulaires (formation sur la luette) : R. (☛ Ensemble, ces trois premières familles sont également rassemblées sous le nom un peu désuet de "gutturales", c'est à dire des sons qui se forment plutôt vers l'arrière de la bouche.) ❧ Les dentales (formation du son avec la pointe de la langue, près des lèvres) : D, T, L. ❧ Les labiales (formation du son grâce aux lèvres) : P, B, F, M, V. ❧ Les chuintantes : CH et J. ❧ Les sifflantes : S et Z. Le petit plus...Je vous livre une liste absolument incomplète (que vous pouvez compléter vous-même chez vous, ou en commentaires) que je continue à alimenter. Toute allitération ou assonance est essentiellement interprétable selon son contexte. Considérez ceci comme des pistes de contextes. Pour chaque son, j'ai tenté d'associer quelques idées. La forme même des lettres utilisées peut influer. P, B, D, T : expulsion, martèlement, rebond, énergie, clapotis, gouttes, précipitation, accélération... R, K, G : dureté, colère, indignation, martèlement, violence, ronronnement... S : sifflement, colère, serpent, sensualité, séduction, tentation, glissement, chemin, malice... CH, J, F, V : frottement, murmure, douceur, caresse, frisson, froid, effroi, terreur... L : eau, liquide, coulée, fluidité, sérénité... Z : bourdonnement... M : langueur, nostalgie, douceur, monotonie... N : douceur, rêve... A : ouverture, joie, cri... E : effet de lenteur, sommeil... É, È, I, U : surprise, vivacité, strident, aigu, virulence... O : fermeture, étonnement, bonhomie, rondeur, circonférence, repli, boucle... OU : douceur... Sons vocaliques nasalisés (an, en, on...) : évoquent des fréquences plus basses, plus sourdes, une forme de repli sur le son, comme un écho, un ronronnement. Sur ce, je vous dis à bientôt ! Je laisse les derniers mots à Charles Nodier, parce que jamais personne ne parlera mieux leur langage : « Que le poète l’essaye : qu’il fasse bruire les brises à travers les bruyères, murmurer les ruisseaux qui roulent lentement leurs eaux entre des rivages fleuris, soupirer les scions ondoyants qui se balancent, qui gémissent ; frémir et frissonner les frais feuillages ; la tourterelle ou hurler au loin le hibou ; qu’il fasse se lamenter les vents plaintifs, qu’il les fasse rugir furieux ; qu’il mêle leur clameur effrayante à la sourde rumeur de l’ouragan, au fracas des torrents qui se brisent de roc en roc, au tumulte des cataractes qui tombent, aux éclats des tonnerres qui grondent, aux cris des pins qui se rompent… il ne pourra se dérober à la nécessité d’une imitation qui surgit des éléments mêmes de la parole […]. »
|
Jade RiverJeune auteure de 23 ans, passionnée d'écriture et étudiante en Lettres modernes.
Archives
Janvier 2019
Catégories
Tous
Articles qui pourraient vous plaire : |